dimanche 26 avril 2020

3 décembre 2019 : DEFENSE EUROPEENNE, FREINS ET MOTEURS.



La Défense Européenne, la défense de l’Europe, Une défense pour l’Europe, l’Europe de la Défense, la défense par les européens etc……, il s’agit là de concepts de plus en plus prégnants dans les discours des dirigeants de l’UE et de plus en plus présents dans les préoccupations des politiques mais aussi dans celles des peuples européens.
L’idée est-elle tout de même devenue suffisamment mûre pour accoucher enfin de quelque chose de tangible et de convaincant ?
Pour une Europe de plus en plus atone et impopulaire ce serait souhaitable même si la voie est étroite entre le succès et la création d’illusions qui accentueraient encore le divorce entre les dirigeants européens et les peuples.

Historique d’une idée

Si certains étaient tentés de jouer sur le paradoxe, ils pourraient avancer l’idée selon laquelle la Défense Européenne ou de l’Europe est un concept qui était réalité longtemps avant que l’Europe n’existât au plan humain ou géographique, l’antiquité romaine n’avait-elle pas connu une armée rassemblant les peuples de cet immense empire pour faire face aux hordes orientales et nordiques ?
L’empire de Charlemagne verra lui aussi l’avènement d’une force militaire intégrant toutes les ethnies de cet imperium, forgée pour quelques décennies à lutter contre la pénétration musulmane ainsi que contre des forces intérieures et extérieures à l’empire.
L’énumération pourrait être longue et l’on verrait encore dans les croisades peut être le meilleur exemple d’une armée et d’une défense européenne en face d’un ennemi clairement identifié : l’islam.

Après la Révolution française, l’Europe avec la Russie, fera bloc pour endiguer puis écraser le germe révolutionnaire ; Napoléon un peu plus tard rassemblera une grande armée où ne manquait que les anglais pour aller affronter la Russie dont on se demandait déjà si elle était européenne.

La suite ne défigurera pas le tableau, Hitler en 1941 remonte une armée aussi cosmopolite mais beaucoup plus nombreuse encore que celle de Napoléon pour conduire la « croisade européenne contre le bolchévisme et la Russie », mais aussi détruire le peuple Juif !
Il y a dans ces épisodes à la fois la volonté d’une défense et même d’une armée européenne sous un commandement unifié comme déjà le germe de la zizanie entre des intérêts souvent dissonants.

La Communauté Européenne de Défense (CED) au début des années 50 énonce l’idée d’une armée européenne mais – et c’est déjà la contradiction de cette défense européenne « indépendante » -placée dès le départ sous commandement américain, cette problématique n’a jamais été aussi présente que de nos jours.


Une menace commune ?
Un tour d’Europe virtuel de la menace

Le rédacteur de cette adresse serait tenté de prendre le lecteur par la main et lui faire faire ce que l’on pourrait appeler un tour d’Europe de la menace.
Je vous propose de commencer par le sud, par l’Espagne, quelle est la menace qui plane sur ce vieux pays ? elle est multiforme : sur le continent africain les deux enclaves de Ceuta et Melilla sont revendiquées par le Maroc comme le fut le Maroc espagnol en son temps, l’irrédentisme indépendantiste basque mais surtout catalan est une sérieuse hypothèque sur l’unité espagnole, enfin l’islamisme et son cortège d’assassinats dont les séides proviennent d’une population musulmane en croissance démographique exponentielle sur le territoire espagnol ; problème beaucoup moins lourd chez les portugais qui « importent » leurs immigrés en majorité chrétiens de leurs anciennes colonies sans connaître de véritables dangers à l’intérieur comme à l’extérieur.
La France est exposée elle aussi à la menace islamiste pour les mêmes raisons qu’en Espagne, en outre nombre de ses possessions outre-mer sont revendiquées par Madagascar, Les Comores, Maurice, le Mexique….
L’Angleterre toujours en UE est très touchée par la menace islamiste elle aussi, comme elle l’est par les revendications argentines sur les Malouines, revendications soutenues par tous les pays d’Amérique latine, si l’Angleterre était restée dans l’UE, que se serait-il passé en cas d’attaque des argentins ? peut-on penser que tous le européens auraient tiré l’épée pour mourir dans ces ilots lointains ?

La situation change en remontant vers le Nord, qui menace directement l’Allemagne puisque les querelles frontalières sont devenues un souvenir sur la plus grande partie de l’Europe ? l’islamisme sans doute, certains n’hésitant pas à évoquer d’abord la dénatalité comme premier danger.

Les pays baltes compliquent largement le tableau, le sentiment et la crainte de la Russie si proche rassemblent ces pays avec une nuance toutefois, une population russophone et orthodoxe allant jusqu’à 30% dans certains de ces pays cette importante minorité voyant le voisin russe comme un frère plutôt que comme un ennemi.
La Pologne mérite aussi une escale, le sentiment antirusse est y viscéral comme l’est le rejet instinctif de, non pas l’islamisme, mais l’islam considéré à tort ou à raison comme incompatible avec les valeurs chrétiennes fondatrices de l’Europe, christianisme qui fut l’étendard victorieux contre le communisme, attitude que l’on retrouve aussi bien chez les gouvernants que chez les peuples tchèques, slovaques, hongrois, bulgares etc….
Remarquons aussi que le sentiment et l’attitude vis-à-vis de la Russie est fluctuant dans l’Est de l’UE, plus particulièrement chez les hongrois et les bulgares, le ressenti vis-à-vis cette Russie oscille entre hostilité et sympathie, plus particulièrement chez les bulgares qui n’ont jamais oublié le lourd tribut payé par l’armée tsariste au XIX siècle pour libérer ce peuple du joug turc.

Si nous devions dévier vers le Sud Est, nous arriverions à la Grèce et à Chypre Sud, là l’ennemi héréditaire est plus ennemi que jamais, c’est toujours le Turc vu comme agressif et menaçant, le problème des frontières entre le Nord et le Sud de Chypre reste aussi insoluble que le soutien de la Turquie d’Erdogan à Chypre Nord est inconditionnel.
Les menaces militaires turques sont constantes et sérieuses, d’ailleurs le gouvernement turc se propose de revoir les termes du traité de Lausanne qui après la première guerre mondiale définissait les frontières notamment maritimes ente la Turquie et de la Grèce, là aussi il vaut oser poser la question de savoir si en cas d’action militaire turque il serait sérieux de penser que l’UE volerait au secours, armes à la main, de la Grèce et Chypre sud.

L’Italie ne reconnaît en fait qu’une seule menace c’est « l’invasion migratoire » en provenance d’Afrique.

Quid de l’avenir ? Les autorités européennes parlent de pays ayant une vocation européenne, quels seraient les impétrants ? l’Albanie serait sur les rangs, le pays est aussi travaillé par l’islamisme qui se répand au sein d’une population presqu’entièrement musulmane, cette nation aspire à forger une grande Albanie qui intégrerait le Kosovo dont la Serbie fut dépossédée par la force.

La Serbie elle aussi a « une vocation européenne », le pays est encore traumatisé par les bombardements de l’Otan il y a plus de 20 ans, pour des raisons qu’elle continue de ne pas comprendre et Vladimir Poutine y est vu en héros, en frère orthodoxe et slave, là , également, la menace , est tout sauf russe.

L’Ukraine frappe aussi à la porte, la situation du pays n’est que trop connue, un pays fracturé par la guerre civile où la partie Ouest rêve de l’OTAN et de l’UE tandis que l’Est orthodoxe et russophone rêve de plus d’autonomie voire d’indépendance ou encore d’intégration dans la Russie, Russie qui bien sur soutient le mouvement dans ce conflit appelé à durer encore longtemps.

La Bosnie a aussi coiffé le chapeau de « pays à vocation européenne », ce pays à l’instar des autres est une spécificité en lui-même, pays musulman travaillé par un islam radical grandissant, il intègre une région très fortement autonome « la Republika Srpska » qui elle est très liée aux « frères » serbes et russes.

On le voit trouver une menace commune dirigée contre l’UE comme lors de la guerre froide n’est guère facile, les menaces les plus prégnantes sont aussi bien intérieures qu’extérieures au sein des nations qu’au sein de l’Europe : islamisme, Russie, Turquie, migrations massives, Maroc, revendications tiers-mondistes …. Dans ce domaine comme dans bien d’autres l’Europe de l’UE est tout sauf un bloc homogène.


La convergence de facteurs.

L’examen du tableau pourrait ainsi laisser rêveur voire dubitatif le partisan d’une défense européenne commune qui reste à définir mais qui le serait difficilement sur la base d’une menace commune.

Pourtant et peut être pour la première fois dans l’histoire 3 facteurs convergent avec force, d’abord l’acquisition à l’idée d’une défense commune et indépendante ou simplement plus autonome par et pour les européens, il s’agit du reste plutôt d’un ressenti que d’une vision claire mais le désir, le récit, l’aspiration sont là, pourquoi ?, il serait trop long de le traiter ici mais l’élection de Donald Trump y joue son rôle, par exemple , devant l’évolution antagoniste des relations sino américaines, les européens voudraient être autre chose qu’un allié docile.

Les gouvernants européens multiplient les déclarations dans le sens d’une défense européenne « autonome » et la déclaration du 23/10/2016 émanant ou signée par les dirigeants de l’UE affirme vouloir une construction « réaliste et réelle d’une structure viable de défense européenne ».

Les termes sont à noter, il n’y a pas là de manifeste tonitruant mais l’affirmation presque modeste d’une volonté politique consciente des obstacles.
Le dernier élément convergent et non le moindre est le soutien des structures de l’Union Européenne Un effet, un tabou a été brisé puisqu’il est admis à présent -et d’autant plus que le RU est sur le point de nous quitter- que les Institutions Européennes, supranationales par nature, ont à en connaitre en matière de Défense et d’industrie de Défense

Le traité de Lisbonne en effet porte en lui toute l’assise institutionnelle permettant « une structure viable de défense européenne ».

Un fonds Européen de Défense est doté de 5,5 milliards d’euros pour soutenir les efforts de plusieurs pays européens qui viendraient à s’associer.
De nouveaux types de coopération sont prévues dans les nouvelles structures comme la coopération structurée permanente, sans entrer dans le détail il s’agit d’encouragements institutionnels à fédérer des efforts de défense nationaux type conception et fabrication de systèmes d’armes mais toujours sur des bases volontaires, l’idée force étant que 2 ou 3 pays s’investiraient dans un effort de défense et convaincraient les autres de les rejoindre, on le voit, tout est ouvert. Il ne s’agit de rien de moins que d’un pari qui peut aller vers le succès comme vers l’échec.

Un mécanisme de flexibilité est encore prévu qui permet à l’UE de donner mandat à quelques pays d’agir en son nom.

Citons encore l’article 42 du traité de Lisbonne qui inspiré par l’article 5 de l’OTAN met en place une clause d’assistance mutuelle en cas d’agression ne signifiant pas forcément du reste une réponse militaire, l’UE reste réaliste.
On le voit trois facteurs majeurs convergent et peuvent devenir le moteur d’une dynamique unique dans l’histoire de l’Union Européenne à deux conditions toutefois : d’abord que l’Europe reste modeste et ne bâtisse pas de châteaux en Espagne et surtout qu’une volonté politique soit insufflée dans ces structures, sans quoi comme ce fut le cas trop souvent dans l’histoire des tentatives d’union en Europe le soufflet retombera.


Une Industrie de la Défense Européenne.

Là aussi le sujet est vaste autant que ses contours sont indécis même si la définition du sujet est moins floue que celle de la « Défense Européenne », à peine.
Qu’est-ce qu’une industrie de la Défense Européenne ? Quels sont ses buts ? Comment est-elle constituée ? par qui ? Quel est son marché ? Ses relations avec l’extérieur ? et plus particulièrement avec les USA, avec l’OTAN ?

Les Institutions Européennes échaudés par des décennies de désillusions tablent à présent sur un schéma réaliste, elles soutiendraient des projets en la matière provenant de deux ou trois pays, les dits projets devraient s’avérer suffisamment attrayants pour faire venir à eux d’autres pays européens.

On le voit, il s’agit d’un pari réaliste, tenant enfin compte des réalités.
Ces réalités auxquelles se heurte une industrie de la Défense Européenne, quelles sont-elles ?

D’abord que pour beaucoup de gouvernants et de peuples européens la Défense Européenne existe depuis plus d’un demi-siècle et qu’elle s’appelle l’OTAN et que cet OTAN est aussi et peut être d’abord un super marché de matériel made in USA « proposé » aux européens autant qu’au monde.
Il importe de rappeler une grande vérité, en schématisant un peu : les européens achètent national ou américain et des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Australie, l’Algérie, le Qatar, Malaisie, Inde, le Mexique etc…pourtant pas encore dans l’Union Européenne achètent français, anglais, espagnol donc européen.

En 1975 déjà Michel Jaubert entrait dans la salle de réunions des Ministres des Affaires Etrangères Européens et criait « bonjour les traîtres », la Belgique et les Pays Bas ayant choisi le concurrent américain du Mirage F1, comme c’est du reste plus que jamais le cas aujourd’hui, en effet les conseillers de M. Trump lui ont vite fait comprendre que l’OTAN est un super marché de fixation de normes et de vente de matériel qui rapporte très gros.
C’est peut-être la première question : quelle serait le rapport de cette « Industrie de la Défense Européenne » avec les USA ?

A l’exception de l’Europe, le monde réarme, le marché mondial de l’armement est en pleine expansion, les bénéfices y sont colossaux, la concurrence y est impitoyable, peut-on penser que nos amis américains accepteraient de laisser passer sans réagir des marchés lourds aux mains des européens sans réagir et que la majorité des européens feraient bloc ? la question doit être posée.

Celui qui rédige ces quelques lignes a travaillé au Balargone à la direction générale de l’armement (DGA) et l’industrie de défense américaine qui invoque souvent « le work together » avec les entreprises européennes étant bien entendu que dans l’immense majorité des cas ce « work together » signifie que les européens devront se contenter d’être de bons sous-traitants dans des systèmes dont les américains sont et resteront bien sur les maîtres d’œuvre, les « main contractors ».

La question est d’autant plus complexe qu’elle touche au juridique et au technique, on sait que dans un matériel à 99% français, le 1% américain ou allemand peut bloquer un fructueux marché d’exportation.

Il est un autre questionnement qui s’impose, malgré l’interventionnisme des institutions européennes au premier rang desquelles la Commission, la concurrence sur le marché de l’armement où comme nous l’avons écrit les enjeux sont colossaux reste ouverte et acharnée entre pays et entreprises européennes et qu’aucun texte ne leur interdit de s’allier avec les entreprises d’autres pays comme les USA, Israël, l’Inde, l’Australie, le Qatar, l’Arabie etc…. comme c’est du reste le cas.

Il sera toujours difficile à une entreprise européenne de refuser un grand marché quitte à s’allier avec une entreprise non européenne pour disputer un marché à une entreprise « purement européenne », les Etats et les multinationales restent maître du jeu.
On sait aussi que les industries civiles et militaires sont, avec la mondialisation plus que jamais entremêlées et que de plus en plus de pièces essentielles proviennent de pays asiatiques pillant ou copiant légalement les technologies occidentales pour les redistribuer ensuite vers le marché européen, parfois dans le cadre d’accord binationaux en effet, au civil, les alliances entre entreprises et états peuvent se nouer avec des pays comme la Chine, la Russie, l’Iran ….

Pourtant tout ceci n’a pas empêché des succès européens éclatants hors UE et dans l’UE, qu’il suffise de citer Airbus et Galileo pour que la cause soit entendue, l’Europe à condition d’en avoir la volonté politique peut devenir une puissance jouant jeu égal avec les Etats Unis et la Chine.


OTAN et UK

Comme nous l’avons mis en avant précédemment, la relation à l’OTAN reflète tout le paradoxe et une grande partie de la problématique de défense européenne.
En effet plus l’Europe veut sa propre défense plus elle s’intègre dans une structure qui est dans la main des États-Unis, pour beaucoup il s’agit d’être « complémentaire », le mot revêtant encore foule d’acceptions en fonction du pays, pour d’autres il s’agirait de créer au sein de l’OTAN un « pilier européen de la défense » qui à terme pourrait parler d’égal à égal avec les USA, pour d’autres encore ce pilier servirait de tremplin d’émancipation, pour d’autres encore……….

On ne saurait conclure cette réflexion sur la défense européenne sans évoquer l’Angleterre, plus gros budget européen avec la France et l’Allemagne, pour certains du reste, les seuls budgets de la Défense dignes de ce nom en Europe.
Le Royaume Uni devrait quitter les Institutions Européennes, certainement pas l’Europe, en effet qui pourrait imaginer une Angleterre se désintéressant d’une Europe qui commencerait à revêtir des contours de puissance militaire ?

D’ailleurs une « défense européenne » ne peut empêcher la constitution d’accords bi, tri, quadri etc…nationaux et pas seulement entre pays de l’UE voire d’Europe.
Les accords de Lancaster House entre la Marine Française et Britannique est un excellent exemple d’un mécanisme qui fonctionne remarquablement, comme il est évident que la sortie de l’UE ne pourra pas signifier pas l’annulation de tels accords souvent très réticulés, pratiques et efficaces.

La Place du Royaume Uni au sein d’une Défense Européenne est ainsi une des très nombreuses questions ouvertes.


Conclusion.

L’Union Européenne est sans doute à une croisée des chemins unique dans son histoire récente comme l’est l’Europe dans sa très ancienne histoire, une occasion exceptionnelle s’offre à elle de peser plus sur la scène mondiale, les dirigeants européens prendraient une lourde responsabilité en ne saisissant pas cette opportunité si rare offerte par l’histoire et ce, quelle que soit la profondeur des difficultés et la hauteur des obstacles évoqués.
La seule question qui vaille est aussi une inconnue de taille, c’est celle de la volonté politique des leaders européens. Pour cela, une nouvelle Europe doit naître à partir d’une nouvelle constitution, respectueuse, claire, précise et concise (voir ma proposition de constitution de 2013).

Cette question vaut peut-être d’abord pour la France qui avec le départ du Royaume Uni va se retrouver naturellement projetée dans une position de tête de peloton, un rôle historique à sa mesure lui est à nouveau offert, voudra-t-elle le jouer ?
Pour cela, elle devra se trouver un Homme providentiel Humble, Stratège, Respecté et Respectable.

A quand le nouveau De Gaulle !




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